La Conférence de l’ONU sur la biodiversité s’est ouverte, mercredi 7 décembre, au Canada. Et le défi est immense : tenter d’établir en moins de deux semaines une feuille de route pour sauver les espèces et les milieux naturels d’une destruction irréversible.
L’ambition affichée est de sceller un accord aussi historique que celui de Paris pour le climat en 2015. Après deux ans de report, les négociateurs de près de 190 pays sont au travail depuis ce jeudi matin et jusqu’au 19 décembre à Montréal. Avec un objectif : adopter un «cadre mondial décennal » assez ambitieux pour mettre un terme d’ici 2030 à la destruction de la nature et de ses ressources, indispensable à la survie de l’humanité et à la lutte contre le réchauffement climatique.
L’occasion de «conclure un pacte de paix avec la nature »
«Cette réunion est notre chance de passer de la discorde à l’harmonie, d’arrêter cette orgie de destruction et de conclure un pacte de paix avec la nature », a déclaré le président de la COP15, Huang Runqiu, ministre chinois de l’Écologie et de l’Environnement. «Le monde a les yeux tournés vers nous, attend nos travaux et nous devons avancer ensemble», a-t-il ajouté, alors que les négociations patinent depuis trois ans et font craindre un échec retentissant.
En 2019, l’IPBES, l’équivalent du GIEC mais pour la biodiversité, avait rendu un rapport qui avait enclenché une prise de conscience mondiale de l’effondrement du vivant et de la nécessité pour nos sociétés et économies d’y remédier. Les scientifiques signalaient alors cinq causes principales de perte de biodiversité sur Terre, toutes d’origine humaine en effet. «Le changement d’usage des terres : par exemple quand on coupe une forêt, on assèche une zone humide, énumère Philippe Grandcolas, biologiste et directeur de recherche au CNRS ; l’extraction évidemment : si on surpêche des populations de poissons, on va les faire disparaître ; les pollutions : aujourd’hui, il y a des milliers de substances chimiques de synthèse, tels que les pesticides, les engrais ou encore le plastique qui sont relâchés dans la nature et qui posent de graves problèmes aux êtres vivants ; il y a également le changement climatique qui fait disparaître des organismes parce qu’ils ne supportent pas les aléas climatiques ou tout simplement le réchauffement global ; et puis enfin le transport d’espèces qu’on appelle les espèces exotiques. Aujourd’hui, les espèces qui existent à un endroit ont la capacité à faire de l’autostop en partant dans tous les pays du monde, et on a plus de 40 000 espèces qui se transportent comme ça un peu partout, qui sont vectrices de maladies ou qui concurrencent nos espèces cultivées, ce qui pose également problème. »
«L’humanité est devenue une arme d’extinction massive»
Le temps presse : un million d’espèces sont menacées d’extinction, un tiers des terres sont gravement dégradées et les sols fertiles disparaissent, tandis que la pollution et le changement climatique accélèrent la dégradation des océans. «L’humanité est devenue une arme d’extinction massive», a tonné le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, à cause de « notre appétit sans limites pour une croissance économique incontrôlée et inégale ». Cette COP15, sœur jumelle, dans l’ombre, des COP sur le climat, est une des dernières chances de « stopper notre guerre contre la nature», a-t-il déclaré.
Avec ce sommet, il s’agit de concrétiser un accord sur une vingtaine d’objectifs, dont le principal vise à protéger 30% des terres et des mers. D’autres prévoient la restauration des milieux naturels, la réduction des pesticides, la lutte contre les espèces invasives ou les conditions d’une pêche et d’une agriculture durables.
Protéger 30% des terres et des mers d’ici 2030
Les pays les plus ambitieux comme l’Union européenne plaident pour un objectif de 30% des terres et des mers protégées d’ici 2030. Mais d’autres États, notamment les grands exportateurs agricoles comme le Brésil, l’Argentine ou l’Indonésie, font de la résistance. Les pays africains, eux, auront sans doute un rôle de pivot, estime Sébastien Treyer, le directeur de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). «C’est-à-dire des pays qui comprennent très bien que protéger la biodiversité, c’est aussi protéger la résilience, le modèle agricole,explique-t-il. Recomplexifier les paysages agricoles, pour les pays sahéliens, c’est une évidence, c’est la grande muraille verte, c’est la manière d’éviter la désertification et c’est bon pour la biodiversité. Ou alors le Gabon qui protège la biodiversité pour lui-même. En revanche, ils ont des besoins d’investissements énormes, tous azimuts, avec des montants qui sont toujours au moins dix fois plus importants que ce qu’on est capable de mettre sur la table avec de l’aide publique au développement. Et donc là, ce sont des pays qui vont dire : « ok pour l’ambition, mais aidez-nous », et ça va être à mon avis autour de ces pays-là que va se jouer la capacité à avoir un accord suffisamment important.»
Trois jours de discussions préalables ont eu lieu du 3 au 5 décembre mais elles se sont conclues sans avancée significative – seulement cinq objectifs approuvés – alimentant une inquiétude de plus en plus vive chez les observateurs. Les travaux ont repris lentement mardi. Freinés immédiatement par une passe d’armes entre les Occidentaux et la Russie, accusée d’«écocide » après la découverte de milliers de dauphins morts échoués en mer Noire, théâtre de la guerre.
Le sommet se déroule sans l’appui des leaders mondiaux, pourtant venus en nombre à la COP climat de Charm-el-Cheikh en novembre. Ce sont donc les ministres de l’Environnement qui seront chargés, à partir du 15 décembre, de faire aboutir les négociations.
Avec RFI