(Agence Ecofin) – Co-auteur du rapport « L’économie africaine 2023 », publié le 19 janvier 2023 par l’Agence française de développement (AFD), Bio Goura Soulé, professeur-chercheur et assistant technique élevage et pastoralisme à la Cedeao, s’est prêté aux questions de l’Agence Ecofin sur la sécurité alimentaire en Afrique.
Agence Ecofin (AE) : Vous êtes co-auteur du livre « L’économie africaine 2023 », un rapport qui analyse les grandes tendances macroéconomiques de l’Afrique et de ses régions. Un chapitre tout entier a été consacré à la question de l’insécurité alimentaire en Afrique. Quel état des lieux faites-vous aujourd’hui de ce phénomène sur le continent ?
Bio Goura Soulé :On peut le résumer en deux ou trois mots. L’insécurité alimentaire est toujours un phénomène omnipotent, omniscient en Afrique. Elle se manifeste de plusieurs manières, que ce soit sous forme de sous-alimentation globale, aiguë ou modérée, ou sous forme de malnutrition. Tous ces phénomènes aujourd’hui touchent une grande gamme de la population, qu’elle soit en milieu rural ou en milieu urbain. La grande nuance qu’il y a lieu de faire est qu’en Afrique, l’insécurité alimentaire n’est pas aussi extravertie qu’on le pense. Sans l’aide alimentaire, l’Afrique n’importe que 16 % de ses besoins alimentaires. C’est-à-dire que pour l’équivalent de 100 francs de biens alimentaires que nous consommons, nous n’avons que l’équivalent de 16 francs qui vient de l’extérieur.
Toutefois, la situation est très variable selon les produits et selon les pays. Globalement, les mieux nanties, c’est-à-dire, ceux qui dépendent le moins de l’extérieur pour se nourrir, c’est le Maghreb en première position, ensuite l’Afrique australe. L’Afrique de l’Ouest vient en troisième position. Les moins nanties, ce sont d’abord les pays d’Afrique centrale et en queue ceux de la corne de l’Afrique.
Par exemple, les pays de l’Afrique centrale sont plus dépendants de l’extérieur que ceux d’Afrique de l’Ouest. Des pays comme le Gabon, la Guinée Equatoriale, le Congo-Brazzaville sont dépendants de l’extérieur à plus de 80 %, notamment pour les céréales et autres produits laitiers. En Afrique de l’Ouest, c’est surtout la région du Sahel qui rencontre beaucoup de difficultés, du fait des effets du changement climatique, de la faible productivité des systèmes agricoles, auxquels est venue s’ajouter ces dernières années, l’insécurité qui fait déplacer beaucoup de populations.
AE : Ce constat va tout de même en contradiction avec tout ce qu’on a entendu jusque-là !
Bio Goura Soulé :Attention ! Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas dans une situation difficile. L’accès à l’alimentation chez nous est conditionné par deux situations endogènes. C’est d’abord le pouvoir d’achat et la pauvreté. Premier constat : les gens veulent manger, mais ils n’ont pas les moyens d’accéder aux produits alimentaires, même si ceux-ci sont disponibles sur le marché. Deuxième constat : c’est la cherté des produits qui sont sur le marché. L’inflation à laquelle nous faisons face actuellement a contribué à appauvrir une grande masse de la population.
Ce dont on peut se réjouir, c’est que 80 % de notre production est faite par les petites et moyennes exploitations, surtout les petites exploitations familiales. J’aime à dire que ce que l’élite africaine consomme – des produits importés pour la plupart – ne représente pas grand-chose dans ce que l’immense majorité de la population de la région consomme.
Cependant, en Afrique, les crises alimentaires restent très aigües. Elles se manifestent de façon très dure et sous forme de malnutrition chronique, aiguë ou modérée. Aussi, aujourd’hui, de plus en plus de gens mangent très mal et souffrent d’obésité, etc. Ce sont des phénomènes qui sont devenus récurrents et lorsqu’on les projette, on a bien l’impression que l’Afrique, c’est un continent où il y a tellement de famine, où tout le monde meurt tous les jours, etc. Non, ce n’est pas vrai.C’est vrai que 20 % de notre population est encore sous-alimentée. Au total, ce sont 322 millions d’Africains qui sont touchés par l’insécurité alimentaire grave et 473 millions supplémentaires par des formes modérées.
La seconde grande tendance, c’est qu’on a une amélioration quand même sensible d’un des indicateurs majeurs de l’insécurité alimentaire, qui est la malnutrition. L’indicateur de malnutrition qui touche les enfants de moins de cinq ans est en nette évolution favorable ces dernières années. Quand vous regardez les statistiques du Togo ou du Bénin, ou même des pays comme le Ghana, on est dans une sorte de transition bien prononcée d’amélioration de cette situation de malnutrition au niveau des plus jeunes.
Certes, on rencontre encore des femmes allaitantes qui sont dans des situations difficiles, mais la proportion a tendance à diminuer.
AE : Justement, vous parlez de la démographie en Afrique. Une question sensible sur le continent. Dans le livre, on peut lire ceci : « Même si l’autosuffisance alimentaire comme condition de la sécurité alimentaire est une approche devenue désuète lors des deux dernières décennies, la pression démographique et les risques de désordres sur les marchés internationaux remettent les enjeux de production agricole et d’autonomie alimentaire au centre des stratégies en Afrique. » La démographie est-elle un problème si important en Afrique ? N’est-elle pas plutôt un atout ?
Bio Goura Soulé : Je crois que ce serait une hypocrisie de dire que la démographie n’est pas un problème. Mais elle peut être aussi une opportunité. Si on met en place les conditions pour exploiter le potentiel que cela regorge en termes de main d’œuvre, en termes de capacité de création, en termes de marché. Mais malheureusement, en Afrique, c’est comme si on a quelqu’un qui a mal à la tête, mais qui s’occupe d’abord de ses pieds.
Parce que le problème est surtout du côté de l’éducation de qualité, qui est le facteur essentiel pour mettre les gens au travail, pour améliorer leur productivité et leur capacité de création.
En Afrique, on n’a pas un savoir-faire renouvelé qui suit le modèle économique dans lequel nous vivons. Cela pose sérieusement problème de voir comment les pays éprouvent des difficultés à améliorer leurs revenus, à assurer la résilience des populations, du fait qu’il y a une croissance économique qui est globalement presque équivalente au taux de croissance de la population. Le taux de croissance du PIB de l’Afrique se situe autour de 2,5 ou 3% en moyenne contre 2,6% en moyenne pour le taux de croissance de la population. Quand vous ajoutez le niveau de l’inflation et l’incapacité à contrôler tout ce que nous consommons, à faire face aux chocs du marché, la démographie nous retombe sur la figure. On voit qu’il y a une inadéquation prononcée entre notre production et notre capacité de production et le nombre de bouches à nourrir.
AE : Face à ce tableau noir, quelles politiques sont mises en place, existe-t-il des stratégies qui sont déployées ?
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