Les Etats en général s’endettent pour soutenir l’activité économique et financer le déficit budgétaire. Pour éviter une récession économique, ils ont tendance à accumuler les dettes au lieu de se désendetter. C’est le cas des Etats-Unis dont la dette a atteint 123% du PIB en 2023 (76% pour le Sénégal). Cet endettement a été un moteur de la croissance américaine. De 2007 à 2023, le taux de croissance par habitant du PIB a atteint 19,2% aux Etats-Unis, contre seulement 7,6% en zone euro. Dans ces conditions, l’écart de niveau de vie entre Américains et Européens se creuse, et on peut considérer non sans raison que la politique budgétaire américaine explique une partie de cet écart de croissance avec l’Europe.
Si un Etat émet une Obligation Assimilable du Trésor (OAT) à 5 ans, il remboursera les intérêts (par exemple 5 % du montant de l’obligation émise) chaque année pendant 5 ans, mais remboursera le capital en une seule fois, à l’échéance. Le montant du capital à amortir est tellement élevé que l’Etat sera obligé de se réendetter.
Mais si, à l’échéance de l’OAT, il faudra se réendetter pour le même montant et si les taux d’intérêt ont fortement augmenté, cela pourrait engendrer des difficultés, pour l’Etat et son budget, à faire face à la charge de la dette (coût des emprunts). C’est une situation à laquelle sont souvent confrontés les Etats africains.
En période d’intérêts très faibles, il est avantageux de s’endetter, puisque cela ne coûte rien et parfois même rapporte (intérêts négatifs). En Fin novembre 2020, le taux d’intérêt moyen à l’émission des emprunts émis par l’Allemagne était de -0,56%, ce qui se traduit par 7,07 milliards d’euros de recettes. A titre de comparaison, en France, le coût de financement à moyen et long terme de l’Etat pour 2020 s’affichait à -0,14% mi-novembre. S’endetter pour payer des dettes, dans ces circonstances, est donc sans coût.
Par ailleurs, il y a deux concepts qui permettent de comprendre pourquoi les Etats s’endettent pour payer des dettes : le refinancement de la dette et le reprofilage de la dette. Ces deux termes sont presque des synonymes. On entend par refinancement, l’octroi, par les créanciers, de nouveaux crédits qui seront utilisés en remboursement anticipé de prêts déjà existants. Les emprunteurs peuvent choisir de refinancer un prêt pour de nombreuses raisons, mais l’une des plus courantes consiste à tenter de réduire le taux d’intérêt du prêt.
Le reprofilage de la dette consiste en la modification du calendrier global des remboursements futurs, par le biais d’un refinancement de la dette. Exemple, le Sénégal a procédé en 2021 à une émission d’Eurobonds, portant sur 775 millions d’euros, soit 508 milliards de FCFA, avec un taux d’intérêt fixe de 5,375 % et pour une maturité de 16 ans. Cet emprunt avait servi à rembourser par anticipation 70% de l’Eurobond de 500 millions dollars (10 ans à 6,25%) qui devait arriver à maturité en 2024. Un tel réendettement fut doublement bénéfique en abaissant le taux d’intérêt de la dette, de 6,25% à 5,375%, et en rallongeant la période de remboursement de 13 ans.
Quel que soit le montant de la dette publique, l’essentiel est de mener une gestion optimale qui en assure la soutenabilité. La soutenabilité de la dette publique dépend de sa trajectoire à long terme. Celle-ci dépend à son tour des politiques budgétaires (c’est-à dire de l’accumulation des soldes primaires annuels), et de l’écart entre le taux d’intérêt (r) et le taux de croissance du PIB nominal (g).Toutes choses égales par ailleurs, tant que l’écart entre le taux de croissance de l’économie et le taux d’intérêt (commissions + intérêts) reste positif le risque d’insoutenabilté est écarté.
L’Eurobond de 750 millions de dollars que le Sénégal vient d’émettre le 3 juin 2024, au taux de 7,75% pour une maturité de 7 ans reste soutenable, au vu des taux de croissance proches de 10% attendus ces prochaines années. L’espoir est fondé sur l’exploitation prochaine du pétrole et du gaz. Dans ce contexte s’endetter pour payer des dettes n’a rien de scandaleux, si c’est une nécessité pour assurer la croissance de l’économie sénégalaise.
Pr Amath NDIAYE
FASEG-UCAD