Les perspectives de la finance climat dans un contexte post-covid : Le cas du Sénégal

Les crises exogènes ont plus d’impact sur
le financement du développement et du climat que les crises endogènes, nonobstant l’ampleur et les effets de ces derniers sur les systèmes humains et naturels

Le Sénégal fait face de façon quasi structurelle à des catastrophes naturelles aux impacts désastreux sur les communautés et les écosystèmes : c’est le cas des inondations et des épisodes de sècheresse dont les occurrences sont quasi annuelles. En comparaison des pertes et dommages attribuables à la COVID 19, les niveaux d’efforts et d’investissement pour adresser ces phénomènes semblent inversement proportionnels. Dès lors, se pose la question (i) du surinvestissement noté lors des désastres spectaculaires, comme la COVID, mais ayant éventuellement moins d’effets, et (ii) du sous-investissement noté dans la prise en charge de phénomènes naturels cycliques et chroniques mais dont les effets peuvent être plus importants.

Cette problématique mérite d’autant plus d’être posée et résolue qu’il faut en effet s’attendre, en toute vraisemblance à ce que : (i) les crises sanitaires, environnementales, financières se présentent de plus en plus sous forme globalisée, (ii) les politiques et programmes de redressement économique et financiers consécutifs aux périodes de crise tiennent faiblement compte des préoccupations environnementales, malgré les avancées conceptuelles et opérationnelles que recouvrent les termes de développement durable et d’économie verte.

Il existe une tension naturelle entre les politiques économiques post-crise et les politiques pro-environnementales qui rend difficile la prise en charge optimale du financement climat au niveau national

La crise financière de 2008 a révélé la tension qui existe entre les politiques de redressement ou d’accélération de l’économie et les préoccupations environnementales considérées le plus souvent comme des contraintes. C’est le cas de plusieurs pays qui, durant la période post crise, ont clairement affiché leur manque d’ambition à adresser les problématiques environnementales face à l’urgence d’un redressement économique et financier, par opposition à d’autres pays qui soutiennent des plans de relance économiques « verts ».

Dans le cas du Sénégal en particulier, le Programme de Relance de l’Economie Nationale (PREN), ne prévoit aucune orientation verte. Il apparait ainsi que les objectifs de développement durable qui incluent des indicateurs environnementaux importants (ODD 12, 13, 14, 15), ne semblent opératoires que dans les contextes de détente et qu’un des risques majeurs à l’atteinte de ces ODD demeure incontestablement les occurrences de stress naturel ou anthropique au niveau national, dans la mesure où ces crises risquent de compromettre le financement des actions associées à ces objectifs.

Cette lacune pourrait, en partie, être résolue par le Plan Sénégal Emergent (PSE) Vert qui ambitionne de promouvoir une croissance verte et résiliente au changement climatique, à travers une mobilisation du potentiel d’investissements verts dans les secteurs de l’économie à l’horizon 2035. Cela suppose que les réformes à engager et les fonds d’impulsion à mobiliser auprès des ressources domestiques, ne soient pas compromis par les tensions budgétaires auxquelles le pays fait face, en raison de la crise « ukrainienne ».

Perspectives

• Possibles trajectoires économiques post crise COVID

On estime que les réductions d’émissions de dioxyde de carbone générées par le ralentissement des activités économiques en 2020 seraient de 7 % en moyenne par rapport à 2019. Ceci correspond à une baisse de température de 0,01°C d’ici 2050. En conséquence, l’effet direct de la réponse induite par la pandémie sur le refroidissement du climat sera faible voire négligeable. Dans ces conditions, deux scenarios de reprise économique post-Covid se présentent :

Une reprise économique orientée vers une relance verte et une réduction des investissements dans les combustibles fossiles, susceptible d’alléger d’environ 25 % les réductions des émissions de gaz à effet de serre prévues en 2030 et rapprocher le monde de la trajectoire des 2 °C : Cette option qui présente l’avantage de créer un effet levier sur la mobilisation du financement climat au niveau mondial, peut prendre plusieurs formes : investissements dans les énergies propres pour stimuler la création d’emplois et préparer les pays aux chocs futurs ; réformes politiques respectueuses du climat qui couplent les investissements à grande échelle à une assistance technique dans le contexte des prêts de relance COVID-19 ; budgétisation verte (exemple de la France).

Si cette option peut être envisagée pour les pays développés, elle semble être peu réaliste pour les pays d’Afrique sub-saharienne y compris le Sénégal. En ce qui concerne ce dernier, le Plan Sénégal Emergent (PSE) Vert opérationnalisé pourrait offrir une solution de haute portée. Les actions associées à une telle trajectoire, pourraient se bonifier par :

  • – Des actions orientées vers la protection sociale : En effet, les fonds de développement et les fonds climatiques pourraient tirer des leçons de la crise en canalisant une partie importante des financements publics via des programmes de protection sociale sensibles au climat (incluant la dimension productive) qui fourniraient une assistance prévisible aux communautés les plus pauvres, vulnérables aux menaces et qui peinent à se remettre des chocs successifs.
  • – La conversion des Contributions Déterminées au niveau National (CDN) en plans d’investissement pour encourager les interventions transformationnelles susceptibles d’accompagner les plans de relance.

• Possibles trajectoires de la finance climat post crise COVID

En perspective de la baisse prévisible des principaux flux financiers (contraction de l’épargne et de l’investissement privés, des transferts de fonds) et la possibilité qu’un tel infléchissement perdure sur plusieurs années, il est nécessaire pour les pays vulnérables, à l’instar du Sénégal, de développer de nouveaux produits financiers :

– C’est le cas des obligations vertes qui offrent une alternative crédible et gagnant aux gouvernements des pays en voie de développement, aux investisseurs et aux émetteurs. En Afrique de l’Ouest, la première émission obligataire à objectifs de développement durable de la Banque Ouest- Africaine de Développement (BOAD), réalisée en début 2021, a connu une émission de 750 millions d’euros avec une maturité de 12 ans, et a attiré plus de 260 investisseurs internationaux. En Jamaïque, le Fonds Vert pour le Climat appuie la mise en place de la première bourse régionale d’obligations vertes des Caraïbes par le biais de son programme d’action et d’appui préparatoire. Le ministère jamaïcain de la croissance économique et de la création d’emplois élabore le cadre réglementaire pour les obligations vertes, sensibilise les émetteurs et investisseurs potentiels sur le marché et émettra à terme une obligation verte en bourse.

– Pour faciliter aux pays en voie de développement, une reprise résiliente sans alourdir le fardeau de leur dette souveraine, un des mécanismes de financement innovant à explorer est les « échanges de dette contre le climat », où en échange d’une annulation partielle de la dette par le gouvernement créancier, des investissements dans l’action climatique sont menés par le pays débiteur. Ce mécanisme pourrait d’autant plus présenter d’intérêt que la dette des pays africains a connu un doublement entre 2008 et 2020. Dans le cas du Sénégal, il est estimé à 65,4% du PIB.

Conclusion :

Mener des ruptures fondatrices d’une nouvelle trajectoire en faveur du financement du développement

Les pertes et dommages enregistrés durant la pandémie à COVID 19 sont un rappel des effets de l’inaction du monde devant les risques naturels actuels et à venir. Ils ont mis en évidence l’urgence de la prise en compte de la résilience dans la finance pour rendre les systèmes économiques et sociaux capables de résister aux chocs. La COVID 19 devrait marquer un tournant décisif dans le mode de financement du développement en général et de l’environnement en particulier. Pour les pays en voie de développement, elle est une opportunité de réinventer de nouveaux instruments de coopération financière avec les pays développés et le marché international, en privilégiant des actions à triple dividende : résilience climatique, croissance économique, et réduction des risques.

Alioune Badara KAERE

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