Après les enquêtes du Guardian et de Cash Investigation, voilà pourquoi il ne faut pas (encore) tuer les crédits carbone

De nouvelles enquêtes publiées ces derniers jours ont démontré une nouvelle fois le manque de fiabilité des crédits carbone, utilisés notamment par les grandes entreprises pour compenser leurs émissions de CO2 au lieu de les réduire. Un débat qui n’est pas nouveau et qui jette l’opprobre sur ce marché. Mais la polémique pourrait accoucher d’un marché des crédits carbone plus exigeant car tout n’est pas à jeter.

Il y a deux semaines, le quotidien britannique The Guardian et l’hebdomadaire allemand Die Zeit, publiaient avec l’association de journalistes d’investigation SourceMaterial, une enquête accablante sur la fiabilité des crédits carbone liés à la déforestation et certifiés par Verra, l’un des deux plus importants standards au monde sur le marché des compensations volontaires. Celles-ci sont utilisées par les entreprises qui visent la neutralité carbone. Selon les journalistes, qui ont enquêté pendant neuf mois, plus de 90% de ces crédits sont probablement des « crédits fantômes » et « ne représentent pas de réductions réelles des émissions ».

Quelques jours plus tard, c’est l’émission Cash Investigation, diffusée sur France 2, qui mettait en cause Nespresso. Le géant du café se targue de proposer des capsules « neutres en carbone » mais en réalité, il compense 95% de ses émissions en plantant des arbres qui génèrent des crédits carbone certifiés par Verra. La journaliste qui s’est rendue dans une plantation au Pérou a pu constater le manque de suivi, certains arbres ayant été coupés quelques années seulement après avoir été plantés. Verra, qui défend sa méthodologie, a déjà émis plus d’un milliard de crédits carbone et approuve les trois quarts de toutes les compensations volontaires.

« Nous n’avons pas besoin que les entreprises compensent leurs émissions »

« Ces enquêtes ne sont une surprise pour personne dans le monde des marchés carbone car il y avait déjà eu plusieurs études sur le sujet auparavant, mais elles confirment ce dont beaucoup se doutaient, commente Gilles Dufrasne, de l’ONG Carbon Market Watch. Elles apportent un élément supplémentaire sur le rôle que doivent avoir les crédits carbone dans les plans climatiques des entreprises ». Il rappelle ainsi que la priorité doit être d’abord de réduire au maximum les émissions de l’entreprise avant d’envisager compenser ses émissions résiduelles au travers de crédits carbone.

C’est tout le contraire qui se passe avec des entreprises qui se disent déjà neutres en carbone ou qui ont des objectifs de ce type à court-terme, mais qui en réalité ne font que compenser leurs émissions. « Je pense qu’on se trompe de débat sur les crédits carbone. C’est leur utilisation d’un point de vue compensation des émissions carbone qui doit être revue et pas forcément leur bien-fondé quant au financement de projets clés pour la transition », analyse Charlotte Bande, experte en stratégie climatique chez Quantis.  

Le cabinet accompagne plusieurs centaines d’entreprises dans leur transition et se refuse à aider celles qui ne misent que sur les crédits carbone. « Ce type d’enquêtes permet finalement de renforcer notre message. Nous avons ainsi reçu des emails de clients rassurés d’avoir suivi la bonne approche. Et on constate que les entreprises sont de plus en plus prudentes sur l’utilisation des crédits carbone. Quelques leaders commencent même à se demander comment faire marche arrière sur leur engagement de neutralité carbone à court-terme », assure-t-elle.

Des financements indispensables pour la planète ? 

Épinglés pour leurs vols « neutres en carbone », Air France et Easyjet ont par exemple renoncé aux compensations. Autre signe que le marché tend à devenir de plus en plus exigeant, pour la première fois en 2022, le nombre de crédits carbone mis sur le marché a légèrement baissé par rapport à l’année précédente. Un phénomène qui s’explique par « des prix en hausse, une préoccupation croissante sur les évaluations de la qualité et l’augmentation des temps de vérification » des crédits carbone, note un rapport publié par Shell avec le BCG. 

Toutefois, la dynamique de changement initiée par quelques acteurs est lente et loin d’être générale. « Bien que certaines entreprises aient changé leurs pratiques face au risque réputationnel ou juridique, la très grande majorité d’entre elles continue d’utiliser massivement les crédits carbone pour se déclarer ‘neutre en carbone' », déplore Gilles Dufrasne. Faut-il dès lors abandonner le marché volontaire des crédits carbone comme le suggèrent certains ?

Pour les défenseurs de ce marché, qui plaident plutôt pour une réforme, ce serait tirer un trait sur des financements qui viennent soutenir des projets de préservation de la planète dont les pays du Sud ont besoin. « C’est un argument utilisé par défaut. Pour l’instant, il n’y a aucune donnée qui permette d’évaluer la répartition des montants qui vont effectivement aux projets ou qui vont aux nombreux intermédiaires. La première étape pour maintenir les crédits carbone est donc d’améliorer leur transparence », souligne Gilles Dufrasne.  

Avec Novethic

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