Dans la société sénégalaise, les femmes ont toujours joué un rôle prépondérant pour la stabilité de la famille et le développement économique. Représentant un peu moins de 50% de la population totale (49,4% au dernier recensement), elles ne bénéficient pas des mêmes opportunités économiques que les hommes. Une étude réalisée par l’ANSD publiée en aout 2022 sur la contribution de l’entreprenariat féminin à la valeur ajoutée de l’économie sénégalaise, a permis de mieux illustrer l’apport de ce secteur à la création de richesses sur l’économie nationale. Selon cette étude, l’entreprenariat et le leadership féminins ont contribué à hauteur de 2 681,0 milliards FCFA à la création de valeur ajoutée, soit 22,1% du PIB du Sénégal en 2017 (étude réalisée en 2022 sur les données du PIB de 2017).
Il convient de rappeler que l’ensemble des gouvernements qui se sont succédés depuis l’indépendance, ont tous érigé en priorité absolue le développement de la condition féminine. Au regard des avancées notées dans les différentes politiques de promotion de l’entreprenariat féminin, on peut considérer le début des années 2000 comme une période cruciale marquée par une volonté politique avérée. D’abord, sur le plan institutionnel, c’est durant cette période qu’un signal fort a été lancé avec des mesures hardies de promotion du secteur de l’entreprenariat féminin. Ensuite, s’ensuit la création d’une structure dédiée à savoir la direction de l’entreprenariat féminin et dans la même foulée des mécanismes de facilitation de l’accès au capital en vue de mener des activités économiques (cf. note conceptuelle assises de l’entreprenariat féminin et de l’autonomisation de la femme 2023). Cette séquence que je considère comme étant l’acte 1 de la promotion de l’entreprenariat féminin a permis de jeter les racines de toutes politiques d’autonomisation économique en faveur des femmes. Dès lors, l’entreprenariat féminin est considéré comme un levier intéressant sur lequel les autorités comptent beaucoup pour un développement économique. Pour cette première phase, les référentiels des politiques économiques du pays notamment le DSRP 1 et DSRP 2 accordaient à ce secteur un intérêt particulier.
L’acte 2 de la politique de promotion économique des femmes peut être considéré avec l’avènement du Plan Sénégal Emergent (PSE) marqué par la forte implication du secteur de l’entreprenariat féminin à travers les 3 axes dudit plan. Cette période a coïncidé avec la création/renforcement de dispositifs d’accompagnement financiers et de développement en capital humain touchant ainsi, l’axe 1 et l’axe 2 du PSE respectivement la transformation structurelle de l’économie et le capital humain. La mise en œuvre du PSE a été marquée par une croissance du PIB de 6,2% en 2014 pour atteindre un pic de 7,4% en 2017 avant d’être plombée par le Covid-19 en 2020 à 1,3%. Paradoxalement, sur la même période, le degré de vulnérabilité a affiché une tendance haussière surtout au niveau des couches les plus sensibles telles que les femmes et plus particulièrement celles qui sont dans le monde rural. Ceci pour dire que le lien entre croissance économique et réduction de la pauvreté n’est pas automatique et dépend inéluctablement des choix politiques adossés sur une vision de développement à la base conçue à travers des facteurs structurels propres à chaque pays.
C’est dans ce sens que je considère, avec le PROJET que l’acte 3 de la politique de promotion de l’entreprenariat féminin peut être la locomotive pour une croissance inclusive.
En effet dans le PROJET, le chapitre 5 intitulé « Pour un secteur primaire qui garantit une sécurité alimentaire et une génération conséquente de devises pour l’économie nationale »est un signal fort du rôle que doit jouer le secteur primaire qui occupe un peu plus de 70% de la population active mais qui contribue très peu à la richesse nationale (16% seulement). Au regard de ce reprofilage de la politique économique autour de la souveraineté par les nouvelles autorités deux grands défis se dégagent : d’abord celui du relèvement des niveaux de productions agricoles et celui de l’amélioration de la balance commerciale.
Concernant le premier défi, dans le cadre de l’acte 3 de la politique de promotion de l’entreprenariat féminin, le positionnement des femmes surtout rurales devient une nécessité et une urgence. En effet, se référant toujours à l’étude de l’ANSD, les femmes contribuent à hauteur de 1 222,1 milliards FCFA à la valeur ajoutée du secteur informel non agricole, soit 45,3%. En ce qui concerne le secteur informel agricole au sens large, leur contribution en termes de valeur ajoutée, est évaluée à 458,4 milliards, soit 27,3% de la richesse créée au niveau dudit secteur. La comparaison montre que celles qui sont dans le secteur informel agricole doivent encore davantage être soutenue. Ce soutien est d’autant plus justifié qu’il a été toujours démontré que l’augmentation du revenu de la femme est corrélée positivement au bien-être de la famille à travers l’amélioration de l’éducation des enfants et celle de la santé des membres de toute la famille dans son entièreté. Ainsi, la politique d’autosuffisance alimentaire par le relèvement considérable des niveaux de production doit s’appuyer sur les femmes pour faire d’elles de véritables championnes agricoles d’autant plus qu’elles représentent 80% de la force de travail dans le monde rural.
A cet effet, l’écosystème entrepreneurial rural doit être revisité et réorienté. Dans le PROJET, il est prévu de recentrer le rôle et la vocation de la Société d’Aménagement et d’Exploitation des Terres du Delta du Fleuve Sénégal (SAED). A mon avis, il s’agit d’abord d’élargir le champ d’intervention de cette structure dans les autres régions ou pôles économiques en renforçant ses moyens d’actions à tout point de vue. Sous ce rapport, dans les missions, notamment pour le volet aménagement, il faut prioriser avec des mesures incitatives l’entreprenariat féminin à travers des projets collectifs (coopératives etc…) ou individuels. Ainsi, un grand bond en avant sera fait en faveur de l’accès des femmes au foncier productif. Maintenant, comme décrit dans le document de référence (le PROJET), le tout doit être accompagné d’une politique de facilitation de l’accès à l’eau, aux intrants, aux équipements etc….
Pour ce qui concerne l’accès au capital, il est dit dans le PROJET « Nous mettrons en place un Fonds d’impulsion et de promotion des initiatives entrepreneuriales pour octroyer des crédits pour le développement et la promotion des initiatives entrepreneuriales individuelles et collectives ».Cet important levier de facilitation de l’accès aux ressources financières doit impérativement disposer d’un guichet spécial femmes en vue de maintenir la dynamique de promotion de l’entreprenariat féminin. Dans la même lancée, ce guichet, doit en priorité se focaliser sur les initiatives entrepreneuriales qui relèvent du secteur primaire (agriculture, élevage et pêche). Cela va indéniablement, avec les réformes préconisées supra tirer les niveaux de production vers le haut ainsi que les effets d’entrainement sur les autres maillons des chaines de valeur agricole, élevage et pêche. Sur le financement proprement dit, l’expérience de terrain a permis de constater que beaucoup d’initiatives entrepreneuriales surtout en création éprouvent des difficultés durant leur première année d’exercice par le fait d’un investissement en équipements insuffisants ou inadéquats. Ainsi, en termes d’approche, l’une des missions fondamentales de ce mécanisme est de voir comment accompagner les cibles en démarrage ou en développement sur la partie investissement par une subvention ou une prise de participation et sur la partie exploitation par un emprunt avec des conditions d’accès très allégées.
Concernant le défi relatif à la génération de devises pour l’économie nationale, effectivement si on arrive à gagner la bataille du relèvement considérable des niveaux de production et leur diversification en intégrant d’autres spéculations (blé, autres céréales) par effet de substitution on réduira les importations et on pourra réaliser par conséquent des gains substantiels de devises. Dans le même ordre d’idées, le tissu industriel doit aussi suivre avec une politique prospective cohérente et claire. En d’autres termes, l’augmentation des niveaux de productions agricoles au sens large va favoriser le développement, même embryonnaire d’unités de transformation industrielles de base. Cela va ainsi permettre aux femmes en se positionnant sur ce marché de devenir des championnes industrielles.
Pour terminer cette modeste contribution, à mon avis, l’entreprenariat féminin doit être érigé au rang de priorité absolue compte tenu de ce que le secteur peut apporter en termes de contribution à la création de richesses mais surtout sa répartition sous forme de dividende au niveau de la population qui sont les deux piliers fondamentaux d’une croissance inclusive.
Le plaidoyer que je lance pour le secteur de l’entreprenariat féminin est relatif à son financement et sa place dans le secteur privé national. Un secteur aussi fondamental que celui-ci doit être accompagné par des ressources stables et pérennes (par exemple définir un pourcentage sur les ressources pétrolières et gazières) pour lui permettre de se projeter encore davantage sur le moyen et long terme avec une planification maitrisée et une gouvernance contrôlée.
Abdoulaye SECK