Refonder notre système politique, c’est aussi refonder notre rapport aux écosystèmes

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Le dialogue sur le système politique, c’est aussi une opportunité pour refonder le cadre régissant notre rapport aux écosystèmes. Alors que le Sénégal s’engage dans un Dialogue national sur la Refondation de son système politique, l’enjeu écologique reste curieusement marginalisé. Pourtant, il est urgent de reconnaître que la refondation des institutions ne saurait être complète sans une refonte radicale de notre relation à la nature. Repenser nos structures de gouvernance implique de repenser aussi les institutions visibles et invisibles qui régissent le rapport de l’humain aux écosystèmes.

La Constitution reflète et perpétue malheureusement l’approche anthropocentrée de la nature. Beaucoup d’entre nous se sont réjouis de voir l’environnement figurer dans notre Constitution, croyant y voir un progrès majeur. Mais ce droit constitutionnel se limite à garantir à l’humain un environnement sain, sans accorder de reconnaissance intrinsèque aux droits des écosystèmes eux-mêmes. Il ne s’agit pas de préserver la nature pour ce qu’elle est, mais pour ce qu’elle offre à l’homme. C’est là une vision profondément anthropocentrée, qui réduit la nature à une simple variable d’intérêt humain, sans reconnaissance de sa valeur propre, ni des devoirs éthiques de l’homme à son égard.

Des décideurs et des politiques qui incarnent une ambition minimaliste en matière de préservation des écosystèmes. Cette vision a irrigué nos politiques publiques et continue d’influencer les choix de nombreux décideurs, en produisant des ambitions environnementales minimales. Un exemple significatif en est le choix systématique en faveur de la réhabilitation au détriment de la restauration écologique. Ce choix, pourtant validé par la communauté internationale, révèle une absence flagrante de volonté de préserver la continuité des fonctions, processus, biens et services écologiques. La réhabilitation — entendue comme stabilisation physique et esthétique d’un site — n’offre aucune garantie de restauration de l’intégrité écologique.

Même lorsque les textes juridiques nationaux mentionnent la restauration comme option dans les démarches de réparation post-projet, la pratique administrative et politique l’écarte presque systématiquement. Les exemples abondent de ministres ou d’autorités administratives ignorant ou contournant les exigences fondamentales de la soutenabilité environnementale, au Sénégal comme dans bien d’autres pays africains. La réhabilitation est devenue la norme, simplement parce qu’elle est moins coûteuse, moins contraignante et plus rapide, alors même que l’impact écologique positif de la restauration est largement supérieur.

La crise de notre relation aux écosystèmes est aussi culturelle et religieuse/spirituelle. Mais cette crise du rapport à la nature n’est pas seulement politique ou juridique : elle est aussi éthique, culturelle et spirituelle. Dans nos sociétés traditionnelles, avant la rupture coloniale et missionnaire, les religions endogènes africaines consacraient un lien profond, sacré, entre l’humain et la nature. Les arbres, les eaux, les montagnes, les animaux faisaient l’objet de rituels, de tabous et de récits transmis de génération en génération, qui incarnaient un véritable respect cosmique du vivant.

Ce rapport révérencieux a été brisé, en grande partie, par une islamisation puis une christianisation qui, dans leur déploiement historique, ont souvent focalisé les prêches sur les seuls aspects cultuels, reléguant au second plan les dimensions écologiques et morales pourtant présentes dans les textes sacrés des deux religions. L’islam comme le christianisme contiennent des enseignements profonds sur la sacralité de la création, la fonction de khalifa (intendant de la terre), la miséricorde envers les créatures vivantes. Mais ces dimensions ont été marginalisées dans le discours religieux dominant.

Refonder notre relation aux systèmes écologiques passe par une école enracinée dans les valeurs et traditions sénégalaises positives , C’est pourquoi, si nous voulons véritablement transformer notre rapport à la nature, nous devons aussi refonder notre système éducatif. Car aucune transition écologique sérieuse ne pourra se faire sans une éducation repensée, qui reconnecte les individus à leur environnement, à leur territoire, à leurs responsabilités vis-à-vis du vivant.

L’école doit devenir un espace de réenracinement écologique et culturel. Elle doit valoriser les savoirs écologiques endogènes, intégrer dans ses programmes l’apprentissage des équilibres naturels, enseigner le respect du vivant comme principe moral, et susciter l’émerveillement devant la complexité du monde naturel. Il ne s’agit pas de rejeter les apports de la science moderne, mais de les articuler aux traditions locales, aux formes de connaissance et de sagesse longtemps marginalisées.

Former les citoyens de demain, c’est aussi former des êtres conscients de leur interdépendance avec la nature, capables de penser l’environnement non comme une ressource à exploiter, mais comme une communauté de vie à protéger. C’est là un enjeu de civilisation.
La Refondation du lien à la nature, dans les contextes de nos pays et sociétés, ne peut être une simple affaire d’ingénierie ou de financement. Elle exige une révolution culturelle. Cela suppose :

  • d’inscrire les droits de la nature dans notre architecture juridique ;
  • de reconnaître la responsabilité éthique de l’homme vis-à-vis des autres formes de vie ;
  • de repenser les politiques environnementales à l’aune de la restauration écologique, et non de sa version affaiblie qu’est la réhabilitation ;
  • et surtout, de redonner à nos enfants les repères moraux, symboliques et culturels pour vivre en harmonie avec les écosystèmes qui les entourent.
    En somme, refonder notre système politique, c’est refonder notre rapport à la nature. C’est rompre avec une modernité prédatrice, héritée de la colonisation et du mimétisme institutionnel, et renouer avec une intelligence ancestrale du vivant, éclairée par les sciences, soutenue par l’éthique religieuse, et incarnée dans des politiques publiques audacieuses.
    Ce n’est qu’à ce prix que la soutenabilité deviendra une réalité, et non un slogan.

Par Dr Aliou Gori Diouf
Géographe
Spécialiste en environnement et changement climatique
aliou.diouf@gmail.com

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