La déclaration africaine sur l’IA est en place, il est temps de mettre en place un plan en faveur de ses habitants

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Jacob, un annotateur débutant au Ghana, passe ses soirées à apprendre seul à utiliser ChatGPT et V7. Son employeur ne propose aucune formation, mais il sait que rester immobile n’est pas une option. Alors que les outils d’intelligence artificielle automatisent rapidement des tâches auparavant réalisées par des travailleurs débutants comme lui, s’adapter semble de plus en plus essentiel pour conserver son emploi. Partout en Afrique, des travailleurs comme Jacob prennent leur apprentissage en main, se tournant vers des cours en ligne, des forums entre pairs et des réseaux sociaux pour acquérir les compétences nécessaires à leur compétitivité.

Cette initiative est inspirante — mais aussi un avertissement. Quand l’acquisition des compétences nécessaires pour s’adapter à un environnement professionnel changeant devient un fardeau personnel plutôt qu’un bien public, la résilience devient un privilège.

Le facteur distinctif de l’Afrique dans l’économie de l’Intelligence Artificielle (IA)  ne résidera pas uniquement dans les centres de données ou les algorithmes souverains. Il dépendra de la manière dont le continent prépare ses populations à une ère de travail intelligent.

Lors du récent Sommet mondial de l’IA à Kigali, Rwanda, les dirigeants africains ont présenté une vision collective pour le futur numérique du continent. La Déclaration africaine sur l’IA, soutenue par le Fonds de développement de l’IA en Afrique, fixe des priorités telles que le développement des talents, les infrastructures, les données ouvertes et une gouvernance responsable. Les talents, placés en premier, sont justement reconnus comme indispensables. Mais les déclarations doivent désormais laisser place à l’action.

Le secteur de l’externalisation des processus métiers, un baromètre de la transition africaine vers l’IA

Aucun secteur n’illustre mieux l’impact immédiat de l’IA que l’externalisation des processus métiers (BPO). Ce secteur emploie déjà plus d’un million de personnes en Afrique et devrait atteindre 35 milliards de dollars d’ici 2028. Il constitue un point d’entrée crucial sur le marché du travail, notamment pour les jeunes et les femmes, dans des fonctions comme le service client ou l’administration financière.

Mais c’est aussi un secteur en première ligne de l’automatisation. Les outils d’IA générative transforment le support client. Les algorithmes réorganisent les flux de travail administratifs. Une étude récente menée par Caribou et Genesis Analytics, en partenariat avec la Fondation Mastercard, estime que jusqu’à 40% des emplois dans le BPO pourraient être automatisés d’ici 2030. Les postes liés à l’expérience client, qui représentent 44% des emplois actuels, sont particulièrement exposés, avec la moitié des tâches fondamentales déjà automatisables par l’IA. Parmi les jeunes travailleurs dans les fonctions financières et administratives, deux tiers de leurs tâches pourraient être menacées. Les implications en termes d’égalité sont importantes: les femmes effectuent en moyenne environ 10% de tâches automatisables de plus que les hommes.

Ces chiffres ne signalent pas seulement une disruption. Ils révèlent une opportunité. Le secteur du BPO est un terrain d’expérimentation pour la manière dont l’IA va transformer le travail à travers l’Afrique, non seulement dans l’externalisation, mais aussi dans la logistique, le commerce de détail, l’éducation et les services publics. Le continent doit agir dès maintenant pour s’assurer que ces changements renforcent avant qu’ils ne remplacent sa main-d’œuvre.

L’élan politique est là, mais il faut l’amplifier

Certains pays ont déjà pris des mesures. Le Sénégal a engagé près de 12 millions de dollars dans le renforcement des capacités en IA. Le Nigeria, avec son initiative « Outsource to Nigeria », cherche à utiliser son avantage démographique pour dynamiser ses exportations de services. L’Afrique du Sud se distingue: dans le cadre de son plan Global Business Services Masterplan, 65% des nouveaux emplois d’exportation de services entre 2018 et 2022 ont été occupés par des femmes, et 89% par des jeunes. Aujourd’hui, plus de 60% des travailleurs du BPO en Afrique du Sud utilisent des outils d’IA dans leur travail quotidien.

Ce sont des signes prometteurs, mais encore isolés. La plupart des pays du continent en est encore aux premiers stades de la mise en œuvre. La Déclaration africaine sur l’IA prévoit des mécanismes comme un Conseil panafricain de l’IA et des plateformes de partage des connaissances, mais ceux-ci doivent s’accompagner d’objectifs contraignants, d’indicateurs partagés et de financements liés aux résultats pour la main-d’œuvre.

Ce qu’il faut maintenant: un investissement fondamental dans les compétences

La reconversion des travailleurs actuels est urgente, mais ce n’est qu’une partie de la solution. La compétitivité à long terme de l’Afrique dans l’IA dépendra d’une réinvention de l’éducation de demain. L’IA ne doit pas rester un sujet de niche réservé aux filières STEM élitistes. Elle doit devenir une compétence de base, intégrée aux programmes scolaires pour développer dès le plus jeune âge la pensée critique, la maîtrise du numérique et le raisonnement éthique.

L’infrastructure nécessaire à ce changement existe déjà. La puissance de calcul la plus accessible en Afrique se trouve dans les smartphones. L’IA est déjà intégrée au quotidien via les bots WhatsApp, les réseaux sociaux et les outils en ligne, mais cette exposition passive doit être transformée en apprentissage structuré.

Des solutions à grande échelle sont à notre disposition. Au Kenya, des centres de formation communautaires comme le « Digital Economy County Centres of Excellence » innovent dans l’éducation locale à l’IA. Des plateformes mobiles alignées aux programmes scolaires peuvent démocratiser l’accès et réduire les barrières financières. Ce qui manque, c’est un soutien coordonné des gouvernements, des financeurs et des employeurs pour déployer ces modèles prometteurs à grande échelle.

Le secteur du BPO, point de départ de l’action

Le Fonds de développement de l’IA en Afrique doit être guidé par plus que de bonnes intentions. Le capital humain doit en être la priorité centrale. Un point de départ évident est le secteur du BPO. Gouvernements et financeurs devraient s’associer aux employeurs du BPO pour co-concevoir des programmes de montée en compétences, créer des passerelles école-emploi et tester des modèles évolutifs de transformation inclusive de la main-d’œuvre.

Le potentiel de l’Afrique dans l’IA n’est pas abstrait. Il vit dans une génération comme celle de Jacob, prête à apprendre, s’adapter et diriger. Le secteur du BPO a longtemps été une source d’emplois dignes à travers le continent. S’il est transformé avec soin grâce à l’IA, il garantira des moyens de subsistance résilients et servira de modèle pour un travail inclusif et prêt pour l’avenir dans d’autres secteurs.

Charlene Migwe, Directrice du programme chez Caribou

Jonathan Dooner, Directeur du savoir chez Caribou

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