La Gouvernance de proximité se pose avec acuité au Sénégal. A la suite de la multitude de réformes entreprises depuis plusieurs décennies, le chemin reste encore long et parsemé d’embûches pour arriver à un véritable développement local. Suffisant pour que ASADIC-TAATAAN et ses partenaires que la Fondation Konrad Adenauer, l’Agence de développement local (ADL) et le ministère de l’Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l’Aménagement des territoires, posent le débat avec les acteurs à la base. Ainsi, en marge de la conférence nationale sur la Gouvernance de proximité organisée les 27 et 28 octobre derniers, Espacedev a tendu le micro à un chantre du développement économique local. Entretien.
Espacedev : Pendant quarante-huit heures, espacedev a eu l’opportunité de participer à une conférence nationale sur la gouvernance de proximité, organisée par l’Ong TAATAAN, qu’est-ce qui a guidé au choix de cette thématique en ce moment ?
Oumar Wade : Oui, je crois que l’Ong TAATAAN a, depuis presque deux décennies, travaillé sur les questions de développement local. Principalement sur comment avoir un développement endogène. Et qui dit endogénéisation de l’économie du développement, parle également de la participation, de la valorisation du potentiel de nos ressources. Les premières ressources sont naturellement des ressources humaines, mais aussi des ressources physiques, des ressources matérielles, ainsi de suite, avant d’être des ressources financières. C’est à la base de notre développement.
Donc, travaillant sur ces questions, sur le développement local, nous avons senti que la décentralisation avait fait des pas, mais qu’il restait un aspect important qui est le lien avec les quartiers et les villages, l’organisation des quartiers et des villages. Or, ces quartiers et ces villages constituent les unités administratives.
Et quel doit être le lien entre ces villages et ces quartiers avec leurs communes ? D’autant que, quand on parle de participation, là où se trouve le citoyen, c’est au niveau de son village ou de son quartier. Mais tout le monde sait qu’aujourd’hui, quand vous allez dans un quartier, il y en a qui ne savent même pas où se situe leur commune ou comment s’appelle leur maire.
À Dakar, on le voit très souvent. Les gens se disent qu’ils veulent participer, mais ils ne savent pas où aller. Donc, ça veut dire qu’il y a quelque chose qui manque, il y a ce lien-là qu’il faut construire. Et nous, ça nous a toujours préoccupés. Nous avions fait une publication à son temps pour capitaliser tout ce qui était gouvernance de proximité, les conseils de quartier qui ont eu à faire leur preuve dans certaines zones, vers le nord surtout, et dans certaines communes.
C’est comme ça qu’est née l’idée. Déjà, il y a eu un premier pas avec l’acte 3 qui a introduit le principe de la participation à côté du principe de la libre administration. Maintenant, il faut donner du contenu à cette participation. Et nous pensons que, donc, il est arrivé le moment, avec l’acte 4, de pouvoir asseoir, justement, cette organisation, de pouvoir lier ce que j’appelle décentraliser, la décentralisation.
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Décentraliser la décentralisation, pouvez-vous être plus explicite ?
Oui, c’est juste une formule pour dire simplement que la finalité de la décentralisation, parce que la décentralisation c’est une technique administrative, c’est pour permettre la participation. Donc, on essaie de transférer du pouvoir central vers les territoires, donc vers les populations, un certain nombre de compétences, pour que ces populations prennent en charge, elles-mêmes, ces compétences.
Et c’est dans ce sens que dans une démocratie représentative, on leur demande d’élire leurs représentants pour exercer ces compétences. Mais si ces populations élisent ces conseillers, qui sont en nombre limité, comment faire maintenant pour que, justement, la gestion de ces compétences soit aussi transférée au niveau des populations, pour que les populations prennent en charge ces transferts, participent de plusieurs manières, dans la conception, la réflexion, la planification, le financement de ces compétences, parce que ce sont des compétences qui ont été transférés aux collectivités locales. Mais ce qu’on voit, finalement, ce sont des conseillers municipaux, des maires, qui se retournent vers l’État pour dire qu’on n’a pas suffisamment de moyens, et ainsi de suite.
Et l’anecdote que je raconte souvent à des fonctionnaires qui me disent, au niveau national, voilà, les collectivités locales n’ont pas les moyens, je leur dis que vous êtes les premiers moyens de votre commune. Nous tous, nous sommes issus d’une commune.
Maintenant, qu’est-ce que la commune a fait pour canaliser toute cette énergie, toutes ces ressources, pour les transformer et faire de la participation, une participation active, mais une participation qui n’est pas seulement de nature, à dire, je vous implique, mais non, une prise en charge. C’est ça que j’appelle décentraliser la décentralisation.

On a retenu qu’il y a quand même des initiatives assez intéressantes au niveau local avec les conseils de quartier, les régies, mais il y a aussi un autre aspect non moins préoccupant, les conflits de compétences entre les acteurs que sont le conseil de quartier, le délégué de quartier, le chef de village et le maire ou le sous-préfet. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’il faut faire pour vraiment huiler les rapports entre ces derniers ?
On dit souvent que la nature a horreur du vide. Nous tous, ce que nous faisons au quotidien, c’est de chercher des solutions à nos problèmes. Chacun d’entre nous se lève pour chercher des solutions à ses problèmes. Et dès lors que nous cherchons des solutions à nos problèmes, nous essayons de nous organiser, parce qu’il y a des problèmes qui peuvent nous dépasser. Et dans ce cas, on cherche à se tourner vers l’autre, puisque nous avons presque les mêmes problèmes. C’est pourquoi on se regroupe pour pouvoir mettre en synergie nos forces pour résoudre ensemble les problèmes.
Maintenant, quand on n’organise pas tout cela, parce qu’on ne peut pas justement anticiper, c’est là où la décentralisation rencontre le développement local. C’est l’ensemble de ces solutions, pour moi, qui font la base et le sens du développement local. Mais ce développement local, il va rencontrer un mouvement qui vient d’en haut, et il faudrait articuler tout cela.
Maintenant, s’il y a défaillance, si le mouvement n’est pas totalement déployé, et que les initiatives ne parviennent pas à trouver le cadre juridique, institutionnel, organisationnel, pour s’épanouir et même pour se mettre à l’échelle, nous avons des vides. Et le résultat, c’est ce que vous avez décrit. Il faut le reconnaître, les gens n’ont pas suffisamment encadré, aujourd’hui, les rôles des conseils de quartier. Nous avons déjà un cadre juridique éclaté, un qui régit les chefs de village, un autre pour les chefs de quartier. Aujourd’hui, avec l’acte III, on nous parle d’une communalisation intégrale. Donc il y a un défaut, j’allais dire, d’encadrement juridique entre guillemets. La conséquence première, c’est qu’il y a parfois confusion de rôles.

M. Wade, en suivant votre parcours, on sait que vous êtes un chantre du développement économique local. Si vous devez aujourd’hui faire le point, par exemple, de l’évolution de ce développement économique local, où est-ce que nous en sommes et quels sont les jalons à poser pour encore franchir d’autres étapes ?
Mais c’est ce que l’État, et je crois que c’est ce que j’entends dans le discours des nouvelles autorités, qui semble coïncider avec ce que nous théorisions. C’est cette territorialisation des politiques publiques, cette endogénéisation de l’économie.
La colonisation nous a laissé une économie extravertie. C’est comme si nos paysans cultivent pour nourrir l’étranger. Donc nous avons des chaînes de valeurs qui sont connectées au marché international. On fait tout pour qu’ici, on extraie la matière première et on l’exporte ailleurs. Nous ce que nous préconisons, c’est justement, d’une manière très concrète, c’est travailler à créer de la valeur sur nos territoires. On en crée, mais comment nous pouvons faire pour l’ancrer sur nos territoires et que justement, qu’il puisse se développer, j’allais dire, une économie basée sur nos ressources, mais qui satisfait d’abord nos besoins primaires et qui nous permet maintenant aussi d’exploiter nos surplus.
C’est là où on aura l’industrialisation, mais il nous faut régler ces questions de productivité. Et quand on dit productivité, c’est d’abord une question d’organisation, une question de savoir-faire et de savoir sur les technologies.
Et tout cela fait qu’aujourd’hui, on se pose la question de savoir qui doit faire quoi et à quel niveau. Nous savons que le ministère de l’Economie ne peut pas venir régler ces questions. Nos politiques sectorielles sont encore en sillons et le réceptacle, c’est le territoire. Comment coordonner l’agriculture, l’élevage, la pêche, le commerce, les structurer en se basant sur les spécificités de chaque territoire ? Voilà les questions qui se posent. Ce sont des questions très pratiques en rapport avec l’organisation de nos territoires.
Puisqu’on est en train de décentraliser, de responsabiliser, maintenant comment faire pour que les collectivités locales prennent en charge cette question de structuration, de développement économique local ?

Donc, c’est ce qui donne tout son sens au BEL, au Bureau économique local…
Tout à fait parce que nos collectivités locales avaient, jusque-là, plus une orientation sociale qu’économique. On attendait toujours des transferts, on collectait certes des impôts, mais toujours pour satisfaire des besoins sociaux. C’est important parce qu’aujourd’hui il faut continuer à investir dans la santé, l’éducation, et en masse, mais comment faire pour créer de la valeur ? Comment créer un tissu économique ? Parce qu’on a tendance à dire qu’il y a un cercle vicieux qu’il faut rendre vertueux.
Tout ça veut dire que s’il n’y a pas un tissu économique développé, c’est-à-dire des acteurs, des initiatives locales qui s’enchaînent, qui interagissent, il n’y a pas de fiscalité. Parce que tu auras une fiscalité qui est plutôt basée sur les personnes, ce qu’on appelle la fiscalité per capita. Mais tu n’as pas la véritable fiscalité rendement, c’est-à-dire des fiscalités qui se basent sur des activités économiques.
Ça veut dire que nos acteurs économiques gagnent de l’argent, et quand ils gagnent de l’argent, l’État en sort gagnant. Donc s’il n’y a pas de fiscalité, il n’y a pas de ressources propres, parce que la principale ressource propre, c’est encore la fiscalité locale. Et s’il n’y a pas de ressources propres, il n’y a pas d’épargne. Résultat des courses, ‘il y a moins d’investissement. Et s’il n’y a pas d’investissement structurant encore, le problème se repose.
C’est pour cela qu’il faut commencer par le commencement, développer les multiples initiatives, les ordonner, les renforcer pour quitter un peu cette économie trop informelle, parce que basée sur des organisations ou des structures qui ne sont pas toujours adaptées.
C’est pourquoi il faut impérativement professionnaliser les acteurs économiques au niveau local.
Espacedev
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