Mbeubeuss, ensevelira dans un futur très proche, les premières maisons situées sur son versant est. Cette menace est réelle et consécutive à la perpétuelle inertie des différentes équipes gouvernementales, ne laissant que perdurer le désastre écologique : une patate chaude, peut être !
Initialement éloignée des habitations, ce qui du reste était tout à fait normal, cette poubelle à ciel ouvert, est aujourd’hui située au centre d’une agglomération. Sa croissante extension est la flagrante conséquence de l’augmentation des ordures ménagères, elle-même contrecoup du boom démographique qu’enregistre la capitale dont la population est passée de moins de 600.000 dans les années soixante à 3 896 564 habitants en 2023 [1]. Principale décharge d’ordures à Dakar, sa croissance exponentielle est également le résultat d’une absence de stratégie de suppléance et de traitement des déchets ayant entrainé de facto la situation actuelle qui menace fortement la santé environnementale et gravement celle humaine.

Obstacle au « One Health »,Mbeubeuss constitue un enjeu financier majeur dans le sens où elle est une source consolidante de revenues créant de richissimes entrepreneurs de la récupération. En effet, une véritable économie s’est développée autour de la décharge. Du récupérateur de premier niveau aux exportateurs, il existe plusieurs activités génératrices de rentes pouvant rendre difficile toute stratégie de fermeture de la décharge.
Dès lors, le dépotoir se trouve au carrefour d’un télescopage entre un péril sanitaire et les intérêts financiers d’un groupuscule. L’abord et la résolution de cette problématique nécessite ainsi une compromission entre ce qui doit être un opiniâtre désir de sauvegarde du « One health » et la reconversion des exploitants.
Impact de la décharge de Mbeubeuss sur l’écosystème

Le retentissement de la décharge sur la vie humaine et animale, les végétaux et l’environnement a été étudié par une équipe pluridisciplinaire formée d’environnementalistes, d’épidémiologistes, de vétérinaires, de chimistes et d’hydrobiologistes.
Sur la santé des récupérateurs et riverains
Les affections gynéco-obstétricales en particulier les avortements et la mortalité périnatale étaient fréquentes [2].
S’agissant du lien de causalité entre les avortements et la fréquentation de la décharge, les chercheurs établissaient que les femmes y travaillant encourent un risque de présenter un avortement 7 fois plus élevé que celles ne la fréquentant pas. Des évaluations médicales plus poussées notamment le dosage sanguin en métaux lourd (plomb, cuivre, cadmium…) permettraient d’identifier le ou les facteurs étiologiques responsables de cette fréquence des avortements.
Pour évaluer l’impact de la décharge sur les populations riveraines, une étude exposé-non exposé a été menée. Les exposés correspondaient aux quartiers qui étaient proches de la décharge et les non exposés, ceux situés à 5 km de celle-ci. Il était mis en évidence que la décharge était responsable d’une faible scolarisation en plus d’une inaccessibilité à l’eau potable.

Si ces conséquences sont déjà établies, de plus fâcheuses peuvent survenir dans le long terme prouvant l’impériosité de la surveillance post exposition.
Il s’agit en l’occurrence des possibles complications, lièes aux métaux lourds, à type cas d’atteintes rénales, hépatiques et endocriniennes. Bien que la teneur du sol en ces substances soit encore dans les limites normales, l’exposition prolongée pourrait impacter sur l’état de santé des récupérateurs [4].
Les répercussions de la décharge de Mbeubeuss portent au-delà de la santé des récupérateurs et populations environnantes. Elles touchent des individus résidant à distance, ceci par le biais de la fumée quotidiennement dissipée vers des zones densément peuplées à l’image de Keur Massar, Tivaouane Peulh et Malika dans une moindre mesure. L’inhalation au long court de la fumée issue de l’incinération journalière pourrait être un facteur étiologique de maladies chroniques (photo 1). En effet, la combustion des ordures riches en déchets plastiques libère dans l’atmosphère des substances toxiques telles que la dioxine et le biphényl chloré [3].
La toxicité de ces substances est avérée en particulier la dioxine qui est connue cancérigène, perturbateur endocrinien, neurotoxique et pourvoyeur d’affection pulmonaire. Ceci est inquiétant car en plus de l’inhalation, ces substances se déposent sur la végétation et les cultures de maraichage. Les populations pourraient à nouveau être contaminées via la consommation de légumes ou indirectement par l’intermédiaire de la viande d’ovins ou de caprin nourris par le pâturage. Ces risques sont bien réels car il a été démontré que les œufs de poules élevées à l’air libre près de la décharge présentaient respectivement un niveau de dioxine et de biphényl chloré 11 fois et 1,7 fois supérieur [4].
Évoluant comme un cancer sur le lac qu’il tarit, Mbeubeuss impacte sur la biodiversité. Résistent encore quelques oiseaux aquatiques qui voient leur milieu naturel se rétrécir de jour en jour. De résiduels individus de pélicans occupent encore cet étang d’eau traduisant la présence de poissons qui disparaitront inéluctablement emportant avec eux, ces oiseaux de carte postale. Nous laisserons à nos enfants le legs d’un environnement pollué et la disparition d’un écosystème que nos aïeux nous ont tant préservé.
Sur l’environnement : contamination en métaux lourds [5]

Il y’a plus de 10 ans, l’étude des sols en métaux lourds montrait dèjà une teneur bien au-delà des seuils d’investigation. Depuis lors, des modifications importantes sont notées. Les habitations primitives se sont d’avantage développées vers la décharge affleurant cette dernière. La quantité d’ordures a considérablement augmenté laissant supposer une hausse de la contamination des sols dépassant le seuil d’assainissement. Plus inquiétant est l’érection d’une nouvelle ville plaquée entre la décharge et la VDN3 et surtout l’installation sur sol, du grand réservoir de stockage d’eau à quelques mètres du flanc nord de la décharge (photo 2a, 2b).
En effet, la cohabitation entre ce réservoir et la montagne d’ordures est tout simplement inadéquate, et alarmante. L’on ignore à l’état actuel si la contamination des sols autour de Mbeubeuss présente des risques pour la qualité de l’eau en transit dans ce relai. L’installation de cette édifice aurait pu se faire en amont ou en aval de ce point précis si les tumultueuses conditions domaniales et cadastrales du littoral le permettraient. En tout état de cause, la proximité est troublante.

La santé des animaux pourrait être affectée et celle de l’homme indirectement. Des bovins, caprins et ovins pâturent à proximité de cette décharge avec des risques d’ingestion de l’herbe ou de sol contaminés par le plomb, le cadmium, le cuivre etc. Ces métaux présentent des retentissements sur l’organisme humain. L’exposition au plomb doit être prise en compte, elle est responsable d’une morbi-mortalité non négligeable. Selon l’OMS, en 2019, près de la moitié des 2 millions de vies perdues à cause de l’exposition avérée aux produits chimiques était due au plomb. À l’échelle mondiale, on estime que l’exposition à ce métal occasionne 21,7 millions d’années de vie perdues (cumul d’années de vie perdues parce que le patient est infirme ou qu’il est décédé plus précocement). Le plomb est à la l’origine de 30 % de la charge mondiale du handicap intellectuel idiopathique, de 4,6 % de la charge mondiale des maladies cardiovasculaires et de 3 % de la charge mondiale des maladies rénales chroniques [6]. Son implication est probable dans la fréquence des avortements chez les femmes (qui fréquentent la décharge) et dans les cas de mort-nés. L’état rénal des « boudioumanes » bénéficierait d’une exploration de dépistage car l’altération de la fonction rénale évolue à bas bruit et les signes cliniques n’apparaissent classiquement qu’au stade d’insuffisance rénale chronique.
La solution

La fermeture de la décharge est impérieuse. Elle va certes se heurter à une opposition d’un groupuscule préservant leurs intérêts mais l’Etat restera fort et intrépide au vu du péril qui menace ses administrés. A court terme, il faudra créer de nouvelles décharges transitoires en dehors des agglomérations. Dans le moyen et long terme, les actions s’articuleront autour de la promotion des usines de recyclage tant pour la cure de Mbeubeuss que pour celle des nouvelles décharges. La tâche s’annonce dure comme tout « Jubunti ».
Références
- https://www.macrotrends.net/global-metrics/cities/22439/dakar/population consulté le 11.12.24 à 8h 15
- Anta Tal Dia, Cheikh Fall, Papa Ndiaye, 2012 Les impacts de la décharge sur la santé des populations de Diamalaye et des récupérateurs in Oumar Cissé, décharge d’ordures en Afrique, mbeubeus à Dakar, au Sénégal, Iagu-karthala P90-129
- Rinku Verma, K.S. Vinoda, M. Papireddy, A.N.S. Gowda. Toxic Pollutants from Plastic Waste- A Review Procedia Env Sci 35 ( 2016): 701 – 708
- Oumar Cissé, 2012 La décharge de mbeubeuss : des pollutions et des ressources in Oumar Cissé Décharge d’ordures en Afrique, mbeubeus à Dakar, au Sénégal, Iagu-karthala P26
- Seydou Niang et al, 2012 Impact de la décharge de Mbeubeuss sur les ressources en eau et les sols in Oumar Cissé, décharge d’ordures en Afrique, mbeubeus à Dakar, au Sénégal, Iagu-karthala P72
- https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/lead-poisoning-and- health# consulté le 11.12.24 à 8h18
Pr Saër DIADIE