Dans la sagesse immémoriale des Sereer, le monde ne s’est jamais tu. Il murmure. Une conversation infinie lie les animaux, les arbres, tous les êtres, dans une langue oubliée des hommes. Mais pour l’oreille non initiée, ce n’est que vent, froissement de feuilles ou cri bestial. Le vrai langage des bêtes, un idiome mystérieux et codé, demeure un secret scellé, une mélodie que seuls les maîtres du savoir mystique parviennent à entendre et à décrypter. Il est le grand récit du monde, dont les pages sont fermées au commun des mortels.
Ces initiés, gardiens de l’antique dialogue, savent que les animaux sont bien plus que des créatures ; ils sont des ponts vers l’invisible. On dit que dans le silence de la nuit, ils peuvent offrir aux hommes dignes de ce don des formules magiques, des boucliers de sons contre les esprits maléfiques qui rôdent dans l’ombre. Ils peuvent même, par un miracle de leur pouvoir, effacer un homme de la vue des forces obscures, le rendant soudainement invisible, protégé au cœur même du péril.
C’est cette proximité avec le surnaturel qui impose une respectueuse prudence. Ainsi, aucun pâtre veillant sur son troupeau durant les heures sombres n’oserait s’aventurer parmi les vaches sans un préalable signal sonore. Troubler leur conciliabule nocturne est un risque immense. Car qui sait quels secrets elles échangent, couchées dans l’herbe froide ? Les surprendre dans leur confidence, c’est s’exposer à leur colère, une vengeance immédiate et terrible.
Et cette menace est plus aiguë encore avec les vaches que les Sereer nomment « ɗiik », celles qui portent leur puissance non sur le front, mais dans leur être tout entier. Dépourvues de cornes, elles sont réputées les plus investies de pouvoirs magiques. Leur sanction, pour une intrusion impolie dans leur assemblée secrète, serait sans doute la plus redoutable.
Car la nuit, le troupeau n’est plus simplement un troupeau. Il devient un parlement d’ombres, gardien des mystères, et il convient de frapper à la porte de son royaume avant d’entrer, de peur d’y découvrir un langage bien plus ancien et plus puissant que tous ceux des hommes. »
Les vrais bergers comprennent ceci.
Par Sobel DIONE
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