Il y a dix ans, le 12 décembre 2015, l’histoire s’écrivait. Dans une salle de conférence électrisée au Bourget, en France, près de 200 pays adoptaient l’Accord de Paris – un cadre juridiquement contraignant visant à limiter le réchauffement climatique bien en dessous de 2 °C, avec l’objectif de ne pas dépasser 1,5 °C. Plus qu’un traité, il s’agissait d’une preuve que le multilatéralisme pouvait triompher lorsque l’enjeu est existentiel.
Aujourd’hui, on célèbre Paris+10, nous franchissons une étape majeure. Le temps file ! La communauté climatique se retrouve une fois encore – cette fois à Bonn pour la SB62, les yeux tournés vers la COP30 à Belém, au Brésil. Et comme à Paris il y a dix ans, la société civile occupe les couloirs, réclamant justice climatique, ambition et inclusion.
Certains d’entre nous étaient dans la salle à Paris, célébrant l’accord et les espoirs qu’il faisait naître (la photo postée était prise ce jour !). Dix ans plus tard, nous retrouvons de nombreux visages familiers, la même détermination et parfois plus de lassitude aussi et, dans les couloirs de Bonn, les mêmes slogans scandés par les jeunes, les peuples autochtones et les mouvements citoyens : « Agissez plus vite. Soyez plus justes. Rendez des comptes. »
Qu’a accompli l’Accord de Paris ?
L’Accord de Paris a été un tournant dans la diplomatie climatique mondiale. Il a remplacé le modèle rigide et descendant du Protocole de Kyoto par une architecture plus souple et inclusive, fondée sur les contributions déterminées au niveau national (CDN). Il a reconnu les principes d’équité, de responsabilités communes mais différenciées, et de transition juste.
Depuis 2015, de réels progrès ont été réalisés :
Plus de 190 pays ont soumis leurs CDN, dont beaucoup ont relevé leur ambition.
Il y a une attention croissante à la transparence et à la responsabilité.
La capacité mondiale en énergies renouvelables a plus que doublé, tandis que leurs coûts ont fortement baissé.
Le financement climatique – bien qu’insuffisant – a augmenté, et de nouveaux mécanismes comme le Fonds pour les pertes et dommages commencent à émerger.
Les risques climatiques sont désormais reconnus comme des risques systémiques, intégrés dans la régulation financière, la stratégie des entreprises et les décisions d’investissement.
Au-delà de la CCNUCC : vers une mobilisation de toute la société
Peut-être que le plus grand héritage de Paris est que l’agenda climatique a dépassé le cadre des négociations onusiennes.
Les villes, régions, autorités locales et parlements mettent en œuvre des plans d’action ambitieux pour l’atténuation et l’adaptation.
Le secteur privé s’engage, avec des objectifs de neutralité carbone, des innovations technologiques, et une transformation des marchés.
Les jeunes, les femmes, les peuples autochtones, et les acteurs communautaires sont devenus des moteurs de changement, bien au-delà de simples témoins ou militants.
L’action climatique n’est plus isolée : elle est devenue un impératif transversal, touchant l’éducation, la santé, l’infrastructure, les politiques économiques.
Cette ouverture à de nouveaux acteurs et à une approche de « toute la société » est sans doute le fruit le plus précieux de l’Accord de Paris. Elle a démontré que l’action climatique ne repose pas uniquement sur les États : elle concerne chacun d’entre nous.
Pourquoi l’action climatique n’a-t-elle pas accéléré davantage ?

Et pourtant, malgré tous ces progrès, nous ne sommes toujours pas sur la trajectoire nécessaire. Les émissions mondiales restent élevées, et la cible de 1,5 °C devient de plus en plus difficile à atteindre. Les raisons sont multiples :
Les cycles politiques courts entravent la mise en œuvre de stratégies de long terme
Les égoïstes nationaux et le refus de changer de mode de production et de consommation
Le financement climatique reste insuffisant et difficile d’accès, en particulier pour les pays vulnérables.
Des inégalités persistantes dans l’accès aux technologies et au renforcement des capacités ralentissent les transitions équitables.
Les subventions aux combustibles fossiles perdurent dans de nombreux pays, détournant les ressources nécessaires.
La frustration grandit parmi les acteurs non étatiques. Les jeunes, les communautés autochtones, les petits États insulaires et la société civile dénoncent depuis des années un rythme d’action trop lent, trop inégal, et pas à l’échelle.
La dernière décennie a été marquée par des événements climatiques dévastateurs : inondations au Pakistan, incendies géants en Australie et en Amérique, canicules records en Europe, sécheresses et inondations en Afrique. Leurs impacts humains et économiques sont considérables – et trop souvent, irréversibles.
Les rapports alarmants du GIEC rappellent que les émissions doivent atteindre leur pic avant 2025 pour conserver une chance de rester sous 1,5 °C. Et pourtant, les COP se succèdent – 29 conférences en 30 ans, et trop souvent, les décisions structurantes sont reportées.
Et pourtant… l’espoir dans le multilatéralisme
Malgré les retards, les tensions et les déceptions, l’Accord de Paris tient bon. Et cela n’a rien d’anodin. À une époque marquée par la polarisation et les crises géopolitiques, le multilatéralisme climatique reste l’un des derniers bastions du bien commun mondial.
L’Accord de Paris a offert au monde un cadre de confiance, de souplesse et de responsabilité partagée. Il a permis l’émergence d’innovations, d’initiatives locales et d’alliances inédites. Son esprit est toujours vivant – dans les salles de réunion, mais aussi dans les communautés, les entreprises, les écoles et les parlements du monde entier.
Sur la route vers Belém, il faut raviver cette dynamique.
Il est urgent de :
Tenir les promesses financières, notamment pour l’adaptation et les pertes et dommages.
Donner la priorité aux voix des communautés en première ligne et des pays les plus vulnérables.
Aligner les politiques sectorielles pour intégrer l’action climatique dans le développement durable.
Restaurer la confiance, en traduisant les engagements en actions concrètes.
Conclusion : Paris n’était qu’un début
Paris a été un moment d’unité. Dix ans plus tard, nous savons que cette unité doit maintenant se traduire par l’urgence. La décennie à venir déterminera si nous parvenons à orienter le monde vers la justice climatique, ou si nous basculons dans un dérèglement irréversible.
Le monde s’est uni à Paris pour tracer un chemin commun. À Belém, nous devons avancer ensemble – avec courage, solidarité et détermination.
Arona SOUMARE